En Malaisie, à 50 kilomètres de Kuala Lumpur, on pourra bientôt visiter un petit bout de Colmar et le château du Haut-Koenigsbourg.
Un piège à Asiatiques fortunés imaginé par le Premier ministre
A 50 kilomètres de Kuala Lumpur, la route s'enfonce doucement dans la montagne. Serpente entre les grands arbres de la forêt vierge et, finalement, débouche sur un gigantesque chantier de plus de 10 000 hectares: bienvenue à Colmar-sous-Jungle.
Gibbon in the forest !
De ce qui n'est encore que murs de brique et échafaudages doit naître dans six mois à peine un petit coin d'Alsace.
La reproduction grandeur nature du centre-ville de Colmar et du château du Haut-Koenigsbourg, au coeur de la plus ancienne forêt primaire du monde.
Deux fantaisies historiques rêvées par le Premier ministre de Malaisie, le Dr Mohamad Mahathir, et qui seront les attractions phares d'une gigantesque opération immobilière: le Bukit Tinggi. Littéralement, en malais, la «ville des montagnes».
Dominant l'ensemble, perché sur une colline à 1 500 mètres d'altitude, se tiendra le «château». Jumeau de son cousin alsacien, il en a la taille, l'allure, les encorbellements et les mâchicoulis. Mais de place forte il deviendra hôtel de luxe. Et même de grand luxe. Autour d'un jardin tropical à la française, 136 appartements sont en construction. Le donjon central, culminant à 50 mètres de hauteur, abritera une suite royale sur trois étages, avec vue imprenable sur la jungle...
Du château on devine déjà Colmar, avec sa place et sa rue principale, où, pour l'heure, s'affairent encore 700 ouvriers. Mais, dans six mois, c'est promis, on pourra y déguster une bière
d'Alsace et s'offrir une flamme küche à l'ombre de la tour de Riquewihr et d'une échauguette de Kaysersberg.
Le long d'une unique voie piétonne se dressent huit bâtiments qui rassemblent une centaine d'appartements. Trois restaurants complètent cet ensemble à colombages et, à ses extrémités, on devine déjà les deux tours de Colmar, dont la fameuse tour de l'Horloge.
Pour rejoindre Colmar bis, il suffira de garer sa berline dans le parking souterrain et de traverser le pont-levis. Des ascenseurs dans chaque bâtiment, l'air conditionné et des services trois étoiles à chaque étage: c'est cela, Colmar version malaise. Rien ne devrait manquer aux riches tycoons de la péninsule venus s'offrir un petit morceau de France à une heure de route de Kuala Lumpur, pour 2 millions de francs le trois-pièces.
C'est onéreux, même pour une finition impeccable. Des milliers de tuiles en terre cuite sont ainsi arrivées du Périgord la semaine dernière: «Le plus dur est de retrouver l'exacte couleur des toits», explique avec une pointe d'inquiétude le responsable des travaux. «Nous avons essayé d'importer la pierre des carrières d'Adamswiller, mais c'était trop cher, regrette l'architecte, le Français Jean Cassou.
Nous avons dû nous contenter de pierre des Indes.» L'aménagement intérieur est directement inspiré du modèle alsacien, même si les meubles sont fabriqués en Malaisie. La touche finale vient des cafés, des restaurants et des boutiques installés partout dans le village: «Nous souhaitons pousser le détail jusqu'à avoir des Français pour tenir ces commerces, explique Daniel Leong, responsable du projet. Nous sommes déjà en contact avec des commerçants alsaciens susceptibles de venir s'installer ici.»
Des commerces qui seront 100% français, puisque l'on y vendra du vin, de la bière et de la choucroute. Et, bien sûr, des articles de luxe: la France, ici, c'est surtout cela. Daniel Leong étudie même la possibilité de faire pousser des vignes sur les coteaux de «Colmar». «On aurait ainsi du vin blanc de Colmar Malaisie, se prend-il à rêver un moment, avant de préciser: Notre voeu n'est pas de concurrencer l'Alsace, mais simplement de copier le mieux possible votre Colmar.» La copie devrait apporter une pointe d'exotisme dans une Malaisie aux villes aussi tristes que standardisées.
«Pour nous, les châteaux c'est un peu un mythe, explique Leong. Notre nation est très jeune et nous n'avons pas une histoire aussi riche que la vôtre. C'est pourquoi nous sommes sûrs que l'on viendra de toute l'Asie pour visiter notre village de Colmar.»
C'est le Premier ministre du pays lui-même, le Dr Mohamad Mahathir, qui a eu l'idée de ce Colmar-sous-Jungle après une visite en Alsace. Il en a confié le projet au milliardaire sino-malais Vincent Tan Chee, patron de Berjaya, l'un des plus importants groupes immobiliers du pays. Il faut dire que le Premier ministre de Malaisie aime la France, où il se rend en visite privée au moins trois fois par an.
Avec ce Bukit Tinggi, Mahathir s'est fait offrir son petit Colmar. Coût de la fantaisie: 200 millions de francs. «Vous avez mis des siècles à construire Colmar, nous bâtirons notre village en deux ans seulement», précise fièrement un contremaître du chantier, l'oeil rivé sur ses ouvriers.
L'ensemble de ce gigantesque complexe prendra, lui, au moins dix ans pour s'achever, Colmar n'étant qu'un quartier de la «ville des montagnes», pour laquelle le groupe Berjaya a acheté 16 000 hectares de jungle au gouvernement. A une encablure de Colmar on trouvera bientôt un petit Japon, un parc d'attractions, un golf et un hôtel de 400 chambres. Et plus tard, peut-être, une ville inca et un petit bout d'Egypte. Le tout bercé par les cris des 50 familles de singes gibbons actuellement seuls locataires du site.
Malgré la crise asiatique, qui a coûté le tiers de sa valeur à la monnaie du pays, le chantier continue: les magnats de Singapour et autres millionnaires de la région pourront prendre possession de Colmar au mois de décembre prochain. Une compensation pour le groupe Berjaya, qui devait construire Linear City, le plus long immeuble du monde, à Kuala Lumpur, qui accueille déjà les tours les plus élevées du monde. Le projet, toujours inspiré par le Dr Mahathir, était trop fou. Il a été arrêté.
Partout à travers la Malaisie, fédération à majorité musulmane de 20 millions d'habitants, fleurissent des chantiers qui n'ont pas toujours la fantaisie de la «ville des montagnes», mais ont la
même démesure. Avant Colmar, le Dr Mahathir avait déjà rêvé d'une Silicon Valley asiatique. Près de 20 milliards de francs ont été investis par l'Etat dans le «super-corridor multimédia», où
une centaine de grandes entreprises vont travailler dès 1999.
Gretchen Karine
Le Premier ministre a aussi imaginé trois autres villes: Cyber Jaya, la première ville cybernétique du monde, qui devrait accueillir 300 000 personnes; Putra Jaya, une nouvelle capitale
administrative, en construction à 35 kilomètres de Kuala Lumpur; Nusa Jaya, une ville de 1 million d'habitants qui verra le jour au pied du nouveau pont reliant la Malaisie à Singapour. Nusa
Jaya sera une ville à la française, dessinée par l'architecte parisien Jean-Paul Viguier. A cela s'ajoutent un nouvel aéroport international, un nouveau centre-ville plus proche de Singapour la
policée que de l'anarchie de Bangkok, une université islamique internationale où l'on enseigne les préceptes du Coran et de l'économie de marché en langue anglaise. Des routes, des ponts et des
barrages, etc.
Empereur Fazen 1° ! lol!
Qu'importe la crise: sous la baguette du chef d'orchestre Mahathir, qui dirige la Malaisie d'une main de fer depuis bientôt dix-sept ans, c'est tout un pays qui se retrouve embarqué dans cette frénésie pharaonique du développement, où les autoroutes de l'information emmènent vers les maisons à colombages. S. L. B. (l'Express)
/fdata%2F3783136%2Favatar-blog-1151284776-tmpphpUufuzb.gif){kind=avatar}